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Maître Taiji Kasé : Un sensei du karaté-do hors du commun

Maître Kasé : le sensei du karaté

Le karaté est bien vivant en France, l’engouement pour les derniers championnats du monde à Paris en a été la preuve. Si la pratique de cet art martial s’est tant répandue en France depuis les années soixante, c’est essentiellement grâce à un maître japonais exceptionnel, Taiji Kasé.

Maître Kasé, lors d’une démonstration. DR

Pour de nombreux pratiquants d’arts martiaux dans le monde, il est considéré comme le plus grand combattant du XXesiècle. À sa mort, en 2004, des karatékas du monde entier sont venus au Père-Lachaise lui rendre un dernier hommage. Il a brillé dans le karaté mondial non seulement pour ses qualités et compétences exceptionnelles mais aussi en raison des innovations décisives qu’il a apportées au karaté. Son désir permanent de recherche et de progression, mêlé à une connaissance fine du Budo et des classiques de la littérature martiale japonaise, a produit un karaté unique. Tant par son efficacité redoutable que par la synthèse de la pratique traditionnelle du sabre avec le karaté moderne. D’un combattant hors du commun­, il est devenu une légende mondiale des arts martiaux.

Une enfance à apprendre à endurer

Pour comprendre le cheminement exceptionnel du personnage et de son art, il faut revenir dans le Japon d’avant la guerre. Né en 1929 dans la province de Chiba, Taiji Kasé est un enfant calme à la santé fragile. Son père, qui pratiquait le judo, l’initie tout d’abord à cet art pour renforcer sa santé. Tous les petits enfants de cette époque, garçons et filles, étaient encouragés à travailler leur «nintai», littéralement leur « force à endurer, à prendre sur eux ». Dans le Japon de l’avant-guerre, la première des préoccupations n’était pas le bien-être des enfants. Le Japon militariste baignait dans une atmosphère d’apologie de l’armée glorieuse et victorieuse, et ses enfants devraient un jour ou l’autre devenir des soldats redoutables pour la gloire de l’empereur et du pays. Les valeurs du Japon ancien réglaient tous les compartiments de la vie et les enfants n’y échappaient pas. Leur seul objectif était de renforcer leur caractère et leur corps. Mais un enfant reste un enfant, maître Kasé raconta un jour que, sur le chemin du retour de l’école, il tomba et s’écorcha les genoux. Il pleura tout le long du trajet mais en arrivant chez lui, il sécha ses larmes, passa devant son père, droit et impassible, et alla dans sa chambre pour finir de verser ses larmes. Non que ses parents fussent durs avec lui, c’était juste la bonne façon de se comporter pour un enfant de cette époque.

Kamikaze sauvé par l’armistice

Dans la droite ligne de cette trajectoire, Taiji Kasé s’enrôla à 16 ans dans la marine, dans la section des pilotes kamikazes. Il reçut la très courte formation de pilote pour les missions suicide. S’il ne s’est pas écrasé sur un porte-avions américain, c’est seulement parce que l’armistice fut signé juste avant qu’il ne reçoive son ordre de mission… C’était raté pour sa carrière de héros national, mais la porte ouverte à un destin mondial de karatéka.

Le karaté qu’il avait commencé au début de la guerre avec le fondateur du karaté moderne, dit Shotokan, maître Funakoshi, était enseigné avec un esprit d’extrême dureté et de dévouement total. L’esprit type du samouraï y régnait. Seule comptait la victoire. La recherche de la plus grande puissance de coups possible, délivrée avec la plus grande vitesse et sans retenue menait parfois à ce que des combats entre élèves finissent très mal. Un seul coup pouvait tuer. Il y eut des morts, nous dit un jour maître Kasé. Mais le ministère fermait les yeux, il fallait former des « bushi », des guerriers.

Durant l’après-guerre et l’occupation américaine, Taiii Kasé eut plusieurs occasions d’éprouver son karaté avec des GI’s qui cherchaient querelle aux vaincus. Les rixes étaient parfois violentes mais les années de dur entraînement et l’esprit de guerrier faisaient la différence. Les Américains finissaient toujours à terre. Non sans plaisir, on imagine, le pilote kamikaze arrivait finalement à toucher des cibles américaines.

Les Américains forfaits

La passion du karaté chevillée au corps fit que Taiji Kasé, après avoir obtenu une licence en économie et trouvé un travail chez un éditeur, abandonna tout pour se consacrer uniquement à la pratique. Il fut si zélé et assurément doué que, rapidement, il devint instructeur de combat de la Japan Karate Association (JKA). À ce titre, il forma toute une génération d’instructeurs de talent parmi lesquels on compte les maîtres Enoeda et Shirai. Sa puissance, sa vitesse, son endurance, son sens du déplacement et de l’anticipation, son esprit de guerrier lui permettaient de les dominer tous. Ses aptitudes lui valurent également la charge de relever les défis que lançaient d’autres pratiquants d’art martiaux au jeune karaté. Pour l’honneur du Japon en reconstruction, pour l’honneur du karaté, il dut livrer nombre de combats « réels » : sans arbitre, sans règles, sans temps… il les a tous remportés. Cet aspect a contribué à former sa réputation de combattant hors pair dans le monde. Au début des années soixante, alors qu’il faisait une tournée de démonstration et de combats aux États-Unis, l’anecdote raconte qu’il y eut une soirée particulière de rencontres entre Japonais et Américains, les maîtres Enoeda et Shirai étaient de la partie. L’équipe japonaise commençait à être connue pour son efficacité et sa dureté. Il fut alors prévu par l’organisateur des combats qu’un contrat serait signé entre Japonais et Américains pour éviter toute poursuite si les rencontres devaient avoir une issue fatale. Mme Kasé, rapportait cette anecdote : « Le soir du spectacle, les combattants américains ne se sont pas présentés et l’organisateur, lui, s’est bien réjoui d’empocher l’ensemble des paris. Cette fois, les Américains ont perdu par forfait. »

Montesquieu, une raison de rester en France

Maître Kasé voyagea ensuite dans plusieurs pays, comme en Afrique du Sud, pour y développer le karaté. Mais l’esprit de l’apartheid déplaisait au maître. Il avait été engagé pour enseigner aux Blancs. Un soir qu’il ne pouvait dormir, il se leva et alla s’entraîner au dojo voisin. À son retour, il trouva son lit criblé de flèches, visiblement en provenance d’autochtones. Ces raisons le firent partir vers l’Europe. S’il vint en France à la fin des années soixante, c’était d’abord à l’invitation des premiers pratiquants de karaté qui voulaient un maître japonais pour les entraîner. Mais s’il a décidé de rester, comme il le dira plus tard, c’est en raison de l’esprit des Lumières et des philosophes français. Que Voltaire, Rousseau et Montesquieu, qu’il aimait beaucoup, aient décidé de son installation en France, avec sa femme et ses deux filles, voilà qui en dit long sur la profondeur du personnage.

L’état d’esprit et la curiosité ont beaucoup compté dans le développement de son karaté. L’esprit du maître était constamment animé par l’envie de progresser, de s’améliorer, de se perfectionner. Sa curiosité d’esprit le poussait à s’intéresser à l’astronomie, à la photographie, à la littérature russe, française et bien sûr japonaise. Il lisait et relisait ses classiques martiaux tels « Le traité des cinq roues » du légendaire maître de sabre Myamoto Musashi. C’est dans cette célèbre « école des deux sabres », qu’il puisa nombre des aspects de son karaté. Notamment l’idée de se servir de ses bras comme s’ils étaient des sabres. Accentuant ainsi le travail des mains ouvertes (shuto, aîto, etc.), dans les coups, les blocages, ou dans la mise en garde. On voit ainsi beaucoup de photos de gardes de maître Kasé où ses bras sont tendus en l’air ou derrière son corps, comme un sabreur se mettrait lui-même en garde. C’est l’un des points de fusion des pratiques des samouraïs avec le karaté moderne qu’a opéré maître Kasé. Son esprit était toujours en veille, toujours à l’affût, et dans l’attention du moment présent. Lors d’un stage qu’il dirigeait en Finlande, alors qu’il prenait son petit-déjeuner en compagnie ses élèves dans le restaurant de l’hôtel, un groupe de belles jeunes filles entra dans le restaurant. Ses élèves assis avec lui tournèrent la tête vers le groupe. Maître Kasé interpella alors le plus gradé de ses élèves pour lui demander ce qu’il regardait. L’élève, troublé, lui dit qu’il observait les jeunes filles. Maître Kasé lui répondit : « En regardant une femme, il ne faut pas se demander si elle est belle ou pas belle mais… dangereuse ou pas dangereuse. »La vigilance occupait l’ensemble de son esprit. Attitude déconcertante pour nous, Occidentaux, latins de surcroît, mais qui a produit des résultats inégalés.

Le plus important : la liberté

Cette exigence appliquée à lui-même renforça un aspect majeur de sa personnalité. Son amour de la liberté. Dans les années quatre-vingt, il prit ses distances avec la maison mère du karaté, la JKA, car sa recherche personnelle avait repoussé le cadre rigide de la pratique « à la japonaise ». Avec le temps, il se distancia de la façon de pratiquer qu’il avait apprise au Japon et développa ses propres critères de progression. Toujours vers plus de liberté d’esprit dans l’expression du karaté. Une pratique martiale traditionnelle, en tant que «do», littéralement de « voie » (comme dans judo, ou aïkido, etc.) doit rendre libre et mener à une profonde connaissance et construction de soi. Humaniste avant tout, maître Kasé disait souvent dans ses stages que l’homme vit entre « le ciel et la terre ». Le pratiquant, pour s’améliorer et faire grandir sa pratique, ainsi que lui-même, doit prendre en compte la terre et ses énergies ainsi que le ciel et son immensité. Aspect poétique ou réalité de ses sensations personnelles, reste qu’il poussait ses élèves dans ce sens, pour le plus grand bien d’un karaté radicalement neuf et plein de promesses.

De l’empereur à l’empereur

Maître Kasé, au Luxembourg, en 2001.

Véritable trait d’union entre le Japon médiéval et moderne, tout autant qu’entre l’Extrême-Orient et l’Occident, maître Kasé, à la croisée des chemins, a connu un destin et une reconnaissance mondiale, dont pourtant il ne se souciait jamais. La plus touchante des reconnaissances a sûrement dû être un soir d’octobre 1994 à l’ambassade du Japon, à Paris. À l’occasion d’un des rares voyages de l’empereur du Japon dans notre pays, celui-ci demanda à rencontrer des Japonais notables installés en France. L’ambassadeur convia maître Kasé et sa femme à cette soirée. Il eut alors l’occasion de rencontrer l’empereur et de discuter avec lui du «budo», de la voie du guerrier, celle des samouraïs. Au dire de Mme Kasé ce fut un moment d’une intense émotion pour lui.

Voilà donc que l’adolescent dont la courte destinée devait être de s’écraser sur un porte-avions américain pour la gloire de son empereur serrait la main d’un autre empereur en tant que personne ayant répandu dans le monde, brillamment et avec honneur, l’un des aspects les plus fascinant du Japon, celui de la « Voie ».

François Lehn

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La semaine prochaine sur Au Tapis !, retrouvez un article sur les apports de Maître Kasé au karaté

Un journaliste pratiquant le karaté

François Lehn, est journaliste spécialisé en santé et science. Passionné d’arts martiaux, il pratique le karaté-do depuis vingt ans. Très tôt, il a pu pratiquer sous la houlette d’élèves de maître Kasé et du maître lui-même à l’occasion de plusieurs stages.  Diplômé d’un BEES, il enseigne le Karaté-do shotokan Kasé-Ha à Paris depuis cinq ans.

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